- ParLouis Fraysse
- 16/10/2020
- 10:00 am
- (Modifié le : 16/10/2020)
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Par définition, les textes apocryphes ne figurent pas dans la Bible. Mais un écrit apocryphe pour une Église ne l'est pas nécessairement pour une autre…
Leur seule évocation suggère le mystère, le caché. En grec, apokruphos, qui a donné «apocryphe» en français, signifie «tenu secret». Au sein du christianisme, les écrits apocryphes désignent, au sens large, les textes religieux qui ne sont pas reconnus par l’Église, qui ne figurent pas dans la Bible. Rien de plus simple, donc… du moins en apparence. Car une question se pose alors : de quelle Église parle-t-on exactement ? L’Église catholique et les différentes Églises orthodoxes, protestantes et apostoliques ne retiennent pas toutes les mêmes écrits dans leur canon – le canon désigne l’ensemble des livres reconnus par une Église chrétienne comme appartenant à la Bible.
Impossible d’aborder la question des apocryphes sans s’intéresser à celle de la formation de la Bible. Car cette dernière, écrit le théologien Thomas Römer, titulaire de la chaire «Milieux bibliques» au Collège de France, «n’est pas tombée du ciel : elle est le résultat d’un long processus qui a duré environ mille ans». Le chercheur voit en elle non pas un livre, mais plutôt une «bibliothèque», voire une «anthologie», «qui fait cohabiter des textes d’époques et de milieux idéologiques différents».
Une diversité immense
Cette diversité, on la retrouve aussi dans les textes apocryphes, marqués par une très grande variété tant de forme que de fond. Certains écrits remontent au Ier siècle de notre ère, d’autres sont beaucoup plus récents. «On trouve des récits proches des évangiles, où l’on raconte l’histoire d’un personnage, qu’il s’agisse de Jésus ou d’un apôtre comme André, Pierre ou Paul, dont les aventures sont racontées dans les Actes apocryphes des apôtres, note ainsi le théologien protestant Rémi Gounelle dans une vidéo consacrée au sujet. Il y a aussi des poèmes, des textes sur la fin des temps, des dialogues… On y trouve une diversité littéraire beaucoup plus importante que celle de la Bible.»
«Les textes apocryphes sont les témoins de la grande diversité du christianisme des premiers siècles, renchérit l’historien et bibliste Michael Langlois. Ils éclairent de leurs lumières personnages et épisodes bibliques restés mystérieux.» Le protévangile de Jacques, un apocryphe du IIe siècle, traite ainsi de l’enfance de Jésus, dont on sait très peu de choses si l’on s’en tient aux seuls évangiles canoniques. L’Évangile du Pseudo-Matthieu, composé au VIIe siècle, se penche lui sur la naissance et la virginité de Marie. Le livre des Jubilés et l’Apocryphe de la Genèse reviennent sur la vie d’Abram (le futur Abraham), Sara et Joseph. Quant au livre d’Hénoch, sommet de la littérature apocalyptique, il décrit notamment la chute des Anges, là où la Genèse ne consacre que quelques versets à cet épisode.
À chacun sa version
Ce qui est considéré comme apocryphe pour les uns ne l’est pas forcément pour les autres. Les frontières délimitant le biblique de l’apocryphe, indique Michael Langlois, sont spécifiques à chaque communauté. Le livre d’Hénoch ne figure ainsi que dans un seul canon, celui de l’Église d’Éthiopie. L’Apocalypse de Jean, à l’inverse, se trouve dans quasiment toutes les Bibles… sauf dans les Bibles orientales syriaques !
De même, en Occident, les différentes traditions ne s’accordent pas sur le canon biblique : l’Ancien Testament, de fait, ne regroupe pas les mêmes livres selon que l’on consulte une version catholique, protestante ou orthodoxe. Les livres «deutérocanoniques», aussi appelés «apocryphes», ne font par exemple pas partie du canon protestant tel qu’établi par les Réformateurs : il s’agit de textes présents dans la version grecque de la Bible hébraïque, mais pas dans la Bible juive.
Les apocryphes, des textes cachés?
Les écrits apocryphes sont par ailleurs moins «cachés» qu’on le croit. Car ces derniers, même s’ils ont été écartés des canons officiels, ont parfois eu une influence marquante sur la spiritualité, la liturgie ou encore la culture populaire chrétienne. Que l’on pense aux récits de la nativité : on ne trouve dans la Bible nulle mention du nom des fameux «rois mages», ni même de leur nombre. Idem pour l’assomption de Marie, la présence de l’âne et du bœuf lors de la naissance de Jésus, ou pour nombre des idées courantes au sujet du diable : ces précisions nous viennent en bonne partie de la littérature apocryphe juive et chrétienne. Ces textes viennent souvent combler les silences du texte biblique.
Reste une question majeure : pourquoi certains textes ont été retenus au détriment d’autres ? On l’a vu, la frontière entre texte canonique et texte apocryphe est parfois bien poreuse. L’une des difficultés majeures à ce sujet est que l’on dispose de bien peu d’informations sur le processus de formation du Nouveau Testament. Tout juste sait-on que le début du IIe siècle de notre ère a coïncidé avec une phase de sélection, de confrontation entre les différentes communautés chrétiennes au sujet des textes abordant l’enseignement de Jésus.
Apocryphes et ésotérisme
Ce n’est qu’à la fin du IIe siècle que les quatre évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean se sont imposés dans le corpus chrétien. Tous, pourtant, avaient été critiqués par certaines franges du christianisme. Mais cela ne les a pas empêchés d’acquérir un statut privilégié.
Quant aux écrits restés apocryphes, certains ont été condamnés par les autorités ecclésiastiques, qui les jugeaient néfastes ou incohérents. D’autres ont pu être mis de côté car oubliés, moins copiés, moins partagés. D’autres, enfin, ont pu être sciemment dissimulés car réservés à une «élite» d’initiés, notamment au sein du gnosticisme, comme l’explique Michael Langlois : «certaines communautés se targuaient en effet de révélations ou connaissances mystérieuses, tels les esséniens qui, selon Flavius Josèphe, connaissaient le nom des anges.» Il n’est à ce titre pas surprenant que certains apocryphes, comme l’évangile de Thomas, soit encore aujourd’hui prisés des milieux ésotériques.
Au-delà de leur réputation parfois sulfureuse, les écrits apocryphes sont en tout cas un témoignage de l’extraordinaire diversité du christianisme des premiers siècles.
- Apocryphes, Bible
Louis Fraysse est journaliste à Réforme.
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